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« Un océan de compétences au service de la croissance bleue »

Entretien avec Alain Pomes, directeur du Centre européen de formation continue maritime.

Sea to sea : Deuxième puissance maritime mondiale la France dispose d’un patrimoine maritime considérable pour le développement d’activités nouvelles et traditionnelles. Quels seront les emplois aujourd’hui et demain et quelle sera place de la formation dans la croissance bleue ?

Alain Pomes : « Les activités économiques émergeantes naissent de la mutation des activités existantes qu’il nous faut accompagner. C’est un nouveau territoire à explorer ou l’enjeu est d’être en capacité d’aller rechercher en mer, avec les outils appropriés, des ressources d’énergie, de nourriture et d’eau pour près de 10 milliards d’humains à l’horizon 2050.

STS : Quelles compétences requièrent ces nouvelles activités ?

AP :  La première compétence pour des entreprises industrielles en majorité terrestres, c’est de connaître l’environnement maritime, ses particularités en matière de météo, de résistance des matériaux, d’engins flottants… pour installer une éolienne en mer ou aller exploiter du minerai sous l’eau. Ensuite, il faut être marin pour se déplacer en mer avec des bateaux. 

STS : Il faudra former à la navigation ?

AP : Avec ou sans équipage. Nous travaillons par exemple sur l’usage de drones maritimes, pilotés par un marin depuis un navire pour l’aider dans son activité, qu’elle soit militaire, dans la cartographie marine ou la pêche. Et aussi depuis la terre, on pilotera des drones qui nécessiteront de faire l’acquisition de connaissances technologiques.  Nous réfléchissons à former des marins et discutons avec des industriels sur la formation d’ingénieurs qui travailleront dans le monde marin. Cette double compétence d’ingénieurs-marins émerge aussi dans le secteur de l’énergie avec l’usage de drones sous-marins pour la recherche de minerai et de ressources.

STS :  Quels autres secteurs seront sources d’emplois maritimes ?

AP :  « L’agriculture marine » va permettre de cultiver des algues et plantes marines destinées à la consommation humaine, l’aquaculture, la cosmétologie, la pharmacologie... Les nouveaux agriculteurs devront apprendre à travailler sur le littoral marin et il faudra mettre en place les filières de transformation de produits encore méconnus. Le CEFCM est partenaire de « Blue Train », un projet d'investissement d'avenir mené par la Station biologique de Roscoff qui vise à former les acteurs de l'économie maritime aux évolutions du secteur des biotechnologies marines. Demain on mangera des steaks de protéines marines, des micro-organismes marins et des poissons provenant de fermes d’élevage d’eau de mer à la périphérie des villes… 

STS : Le développement de l’aquaculture signifie-t-il la disparition de la pêche ?

AP : Algoculteur ou aquaculteur sont des métiers de complémentarité d’activités. Il faudra du poisson sauvage pour nourrir le poisson d’élevage. On a autant besoin du pêcheur côtier pour l’aménagement du territoire que pour la quantité de poisson qu’il va ramener. La pêche artisanale est une activité structurante de façade littorale qui joue un rôle clé dans le développement du tourisme. On sait que la valeur ajoutée ne vient pas de la matière première. La complémentarité des activités signifie le pêcheur-éleveur, le pêcheur-transformateur qui fait du produit biologique, des circuits courts…

STS : Comment accompagner ces mutations ?

AP : Nous travaillons avec l’Université de Bretagne occidentale à la création d’une licence professionnelle d’entrepreneuriat maritime. L’objectif n’est plus seulement de de former des marins à l’exploitation d’un navire mais des entrepreneurs de la mer capables de créer des activités sur l’ensemble de ces champs avec une logique de filière. Le pescatourisme par exemple est une opportunité de reconversion pour des navigants qui fait appel à une double compétence : navigation et activité culturelle ou de découverte de la nature.

STS : Cette complémentarité s’applique à d’autres secteurs ?

AP : Avec l’ENSTA Bretagne nous avons un projet de formation pour la maintenance des parcs éoliens offshore via un logiciel de réalité virtuelle. Des modules de formation complémentaires sur les manouvres ou l’usage de radars spéciaux, permettront à des capitaines 500 de piloter des navires de services. Technicien de maintenance de parc éolien en mer cela n’existe pas. Il faut former des techniciens de maintenance à aller en mer et des marins à l’utilisation de ce type de bateaux. On parle de compétence, pas de métier.  C’est aussi vrai pour la construction et la réparation navales dont les formes de commercialisation ont évolué : le chantier doit amener à l’armateur une solution globale intégrant à la construction la formation des futurs équipages selon l’usage du navire. La formation devient la tête de pont d’une filière industrielle et un enjeu pour le développement international.

STS : La croissance bleue passe par l’internationalisation ?

AP : Les marins le savent depuis toujours. Il faut travailler à la bonne échelle de territoire. On doit pouvoir bâtir des filières avec des espaces internationaux en fonction des coûts de production, des ressources locales, de la technologie, du climat, etc. Produire par exemple des alevins en Bretagne et les faire grossir dans des cages au Maroc avant de les importer et les transformer ailleurs… Nous souhaitons ouvrir l’an prochain des formations de capitaines de yachts et de service d’hôtellerie maritime. Nous disposons en Bretagne d’un vivier de candidats dotés d’une culture maritime à qui nous apporterons une compétence de haut niveau en langues, dans les activités de gouvernance d’un bateau, la conciergerie de luxe… pour qu’ils aillent demain travailler en Méditerranée ou dans les Caraïbes dans le yachting, une activité qui va le plus se développer au monde.

STS : et les ports ?

AP : La formation des personnels est au centre du développement des ports qui accueillent des voyageurs et aussi des produits variés qu’il faut transporter et basculer de la mer vers la terre… infrastructures, intermodalité, sécurité et sûreté des ports sont des enjeux de la croissance bleue, y compris pour les ports de plaisance.  Ce sont les services que l’on va y proposer qui vont compter : accueil multilingue, offre de maintenance pour le navire, offre d’hôtellerie, offre culturelle… comment va-t-on développer le tourisme à partir des ports ? c’est aussi un enjeu maritime.

STS : Comment organiser la formation dans un champ de compétences aussi vaste ?

AP : Le CEFCM souhaite créer une bibliothèque de compétences dans laquelle on puisera pour former l’assemblage nécessaire à la création de nouveaux métiers. Un nouveau mode d’apprentissage se met en place pour que ces briques de compétences soient facilement accessibles par plusieurs canaux : e-learning, stages, exercices, classes… avec des outils multimédias appropriés. C’est ce que nous appelons le Blended Learning, une boite à outil de la compétence. »


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